« Les Fifoles »

Pour conserver la mémoire de ses jours heureux, Anne ouvre son blog comme on ouvre un album photo avec l’intention d’y déposer des images de son intérieur et le souhait d’y revenir pour suivre l’évolution au fil des années.
Cette aventure commence en février 2008, "à une époque", nous dit-elle, "où la blogosphère était un peu différente, plus intime, plus confidentielle".

Ainsi, son blog devait demeurer une aventure personnelle, une balade incognito, se disait-elle, mais en rendant ses messages publics, l’auteure ne se doutait pas de ce qui l’attendait.
Anne baptise son blog presque négligemment... Au moment d’inscrire un nom à son bout de toile, elle se rappelle cette envie de créer avec ses amies une boutique de décoration à Lausanne. L’enseigne avait même été imaginée : "Les Filles Folles" !
Ainsi la première idée qui lui vient à l'esprit pour intituler son blog est ce souvenir et par contraction elle invente « Les Fifoles ».


Parlez-nous de votre blog et de votre cheminement ?

Ma première idée était de me servir du blog comme un outil pour simplement stocker mes photos, mes décorations saisonnières et pour y revenir années après années. Puis un jour, j’ai laissé un commentaire (admiratif) sur "Un Cœur en Provence". Laëtitia m’a répondu et a mis une de mes photos sur son blog avec un lien vers le mien. Ce fut comme une grande tape amicale dans le dos : la spectatrice aux yeux écarquillés du premier rang que j'étais, s’est alors retrouvée subitement sur la scène, les bras un peu ballants et le cœur battant.
Par la suite, d’autres commentaires ont suivi et ont titillé mon amour-propre. Ils m’ont donné l’envie de sans cesse m’améliorer, d’être à la hauteur. J’ai mis mon appareil en mode manuel, appris à travailler avec différentes focales, à jouer avec la lumière. De la photo clic-clac, je suis passée à la cinquantaine de prises pour n’en retenir qu’une ! Puis petit à petit je me suis familiarisée aussi avec les outils d’édition.
Mon problème principal actuellement réside dans le choix du sujet : l’endroit où nous vivons avec nos trois enfants n’est pas très grand et je prends presque toutes les photos dans la pièce centrale qui sert à la fois de cuisine, salle à manger et salon. Au bout de quatre ans, j’ai un peu l’impression d’en avoir fait le tour ! D’un autre côté, le blog me pousse à redécorer continuellement.



Quelles sont vos sources d’inspiration ?

La beauté est partout présente autour de nous et se trouve souvent concentrée dans les choses simples. Il suffit d’être disponible et de prendre le temps de regarder, d’écouter.
La nature est porteuse d’harmonie. Pour nous, c’est souvent plus difficile d’associer plusieurs parcelles de beauté. Alors il faut étudier ceux qui savent, ceux qui ont l’esprit ou l’œil plus grand ouvert. Après, c’est une question d’affinités. J’aime de manière inconditionnelle la peinture de Vermeer et celle d’Hammershøi. Mais quand je suis face à un Renoir dont le sujet et le traitement de la couleur me parlent nettement moins, je reçois à chaque fois une gifle. Je suis devant un tableau qui ne me plaît pas mais qui m’impose avec une telle force sa beauté !
J’aime la musique de Beethoven. Par moments, le temps d’une suite de notes au piano, la perfection est là, dans la pièce. À cet instant, rien d’autre n’existe, tous les sens se figent sauf celui de l’audition. Il y a juste la musique et notre âme, qu’on sent presque physiquement.
Et puis, il y a les livres, Proust en tête de liste, les auteurs américains contemporains. J’ai rencontré un jour, grâce aux « Fifoles », une très belle dame qui m’a fait un superbe cadeau, elle m’a parlé avec chaleur du poète Philippe Jaccottet que je ne connaissais pas. Il écrit avec une telle sensibilité, une précision, une acuité. Celui-ci vient de publier un ensemble de notes, proses et poèmes qu’il a choisi lui-même dans son œuvre et qu’il a magnifiquement intitulé : "L’encre serait de l’ombre". Parfois la beauté de ce qu’on lit est si forte, qu’on ne peut plus la taire. Alors je la glisse entre deux photos, dans mon blog.



Que représente pour vous la blogosphère ?

C'est évidemment un outil de recherche ciblée extraordinaire, une vie parallèle bien distincte de la vie réelle, souvent mal comprise par les gens qui lui sont extérieurs.
La blogosphère représente également un acte de générosité à la fois du blogueur qui donne de son temps et de soi-même sans compter, et de celui qui est de l’autre côté de l’écran, qui laisse des commentaires sans que rien ne l’y oblige.
Cet échange désintéressé, ce troc d’émotions, je trouve cela incroyable !
J’ai eu l’occasion, à quelques reprises, de rencontrer des blogueuses dans la vraie vie. Ce qui est curieux, c’est que l’on ne part jamais de zéro. Il y a déjà une connivence, une confiance acquise, une affection.



Dans votre intérieur, y-a-t’il un objet que vous affectionnez tout particulièrement et pourquoi ?

Il y en a plusieurs. Je chine volontiers et je m’attache facilement aux objets.
Mais si je dois en choisir un seul, je dirais notre cheval à bascule en bois blanc. Il est le symbole de notre aventure américaine. Nous l’avons trouvé au marché aux puces de San Francisco, où nous avons vécu de 2000 à 2002. Il était sagement immobile à côté d’un très vieux monsieur qui ne le quittait pas des yeux. Les enfants se sont approchés et l’ont caressé doucement en lui parlant.
Nous avons engagé la conversation en demandant au monsieur si il voulait éventuellement le vendre, car cela n’avait pas l’air évident. Il nous a répondu que c’était son cheval depuis qu’il était petit. Son père l’avait fait pour lui. Une fois adulte, il lui avait lui-même fabriqué une selle en cuir, des étriers et un collier de grelots. Le cheval l’avait suivi toute sa vie et maintenant qu’il savait qu’il allait bientôt mourir, il voulait lui choisir un nouveau propriétaire. Il nous a dit que plus de vingt personnes lui avaient demandé de l’acheter depuis le début de la matinée et qu’il n’avait pas pu s’y résoudre.
Mais là, les enfants lui parlaient gentiment et il pensait qu’ils sauraient s’en occuper. Nous lui avons promis de prendre bien soin de lui et l’avons laissé des larmes aux yeux, en emmenant dans nos bras tout un pan de sa vie.



Quelle saison préférez-vous et pourquoi ?

La fin de l’automne et le début de l’hiver. J’aime le blanc quand il est usé, les bruns froids, les noirs, les gris, contrairement à mes deux sœurs qui vivent dans des univers très colorés. L’une d’elles est la créatrice de la marque "Madame Chalet" à Londres.
Moi, j’aime voir les jours baisser, quand les feuilles jonchent le sol et perdent leurs couleurs flamboyantes. J’aime ce sommeil de la nature qui se refait une beauté. J’aime le vent dans les arbres nus. Cette rudesse, cette âpreté.
Les gens se croisent et se disent l’essentiel parce qu’il fait trop froid pour en rajouter. Mais par-dessus tout, j’aime habiter dans un pays où il y a quatre saisons bien marquées. J’aime ce moment où la nouvelle saison se glisse dans l’autre et l’efface. C’est précisément le moment où il faut tout redécorer.


Photos Anne Closuit Eisenhart / Propos recueillis par Laëtitia Rissetto


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Le blog de Anne « Les Fifoles » : http://lafifole.blogspot.com/